Trains des Amériques

Documentation

L’Amérique du nord sous caténaire

Sauf mention contraire, Texte et photos : BEn
Trains des Amériques, février 2023

La traction électrique n’est pas une chose inconnue en Amérique du nord. Il a existé de nombreux réseau d’interurbans, les réseaux de tramways ont été nombreux et les métros sont tous électriques. Mais l’électrification sur de grandes distances est bien moins fréquente.

Comme toujours, ce sont les exceptions qui rendent cet aspect du chemin de fer très exotique ! Petit tour sous la ficelle avec cinq exemples parmi les plus marquants.

L’électrification de la Nouvelle-Angleterre

Une EP-5 du New Heaven en plein effort
Roger Puta, domaine public (source)

Le New Heaven électrifie ses lignes dès 1909, entre le nord de la ville de New York et New Haven, Connecticut. Les travaux sont achevés en 1914 et les lignes sont alimentées en 11kV alternatif à 25 Hertz.

Le Pennsylvania Railroad s’intéresse aussi à l’électricité dès le début du XXe siècle, pour la desserte des gares new-yorkaises. Leur accès, via les tunnels sous l’Hudson, font que les locomotives à vapeur ne sont pas les meilleures options. Un troisième rail, convoyant du 650V courant continu, est posé.

Suit alors le besoin concernant le trafic de banlieue, où la puissance au démarrage est indispensable. Le 11kV alternatif à 25 Hertz est choisi. Non seulement les voies desservant les banlieues sont électrifiées, mais également les lignes à plus grandes distance desservant le New Jersey, la Pensylvanie et le Delaware. Cet ensemble relie New York à Wilmington.

En 1913, le New Heaven décide de changer son système de sous-stations. Après 18 mois de préparation,le 25 janvier 1914, l’intégralité de la distribution d’électricité est mise à jour en seulement 70 minutes.

En 1928, le Pennsy annonce son souhait de relier New York, Philadelphie, Washington, et Harrisburg via une ligne sous caténaires. Cela sera rendu possible grâce à la construction d’une des locomotives les plus emblématiques de cette époque :

458 📝
GG1

La 4935 présentée au Railroad Museum of Pennsylvania

Photo : Derek Ramsey, CC-BY-SA 2.0, source

Locomotives électriques 2-C+C-2 emblématiques de ce mode de traction aux États-Unis.

Cratérisées par un design art déco signé Raymond Loewy et leur capacité à tirer des trains jusqu’à 160 km/h, c’est aussi sa longue carrière opérationnelle de près de 50 ans au sein du Penssy, du Penn Central, du New Jersey Transit‎ , de la Conrail, et enfin de Amtrak qui font leur notoriété.

Ces machines sont construites par General Electric et le PRR entre 1934 et 1943.

Sur les 139 machines produites, 16 ont été préservées.

Reprises par le Penn Central, certaines de ces lignes seront converties à la traction Diesel par le Conrail juste avant le premier choc pétrolier. Les lignes électrifiées restantes, dédiées au trafic voyageur, sont reversées à l’Amtrak, tout comme celles du New Haven. Ce sont ces lignes qui constituent la majorité des lignes du réseau du corridor nord-est exploité par les trains Acela.

Le transcontinental du Milwaukee Road

Une « Little Joe » tractant l’Olympian Hiawatha
Milwaukee Road, public domain (source)

Le Chicago, Milwaukee, St. Paul and Pacific Railroad est la dernière compagnie à se lancer dans la complétion d’un chemin de fer transcontinental. Ainsi, 1000 kilomètres de lignes, la Rocky Mountain Division, traversant le Montana et l’Idaho, sont électrifiées à partir de 1914. La décision d’électrifier est lié à la puissance des moteurs électriques, ainsi qu’aux prix très bas de l’électricité, produite par les barrage que la compagnie construit dans les Rocheuses. Le succès de cette première campagne amène le MILW à électrifier la Coast Division, dans l’état de Washington.

La force motrice était composée de plusieurs séries de locomotives fonctionnant sous 3000V courant continu. Certaines sont passées à la postérité par leur conception, leur aspect ou leur caractéristiques :

457 📝
EP-2
Bipolar

La E3, prête au départ.

Photo : collection Craig Garver, CC0, source

Série de cinq locomotives électriques de type 1B-D+D-B1, exploitées entre 1917 et 1961 par le Milwaukee Road.

Elles utilisaient douze moteurs bipolaires, une innovation pour l’époque.

En 1953, elles font l’objet d’une révision intégrale.

Initialement numérotées 10250–10254, elles deviennent la série E1 à E5 en 1939.

Une locomotive est conservée.

456 📝
Little Joe
800s, Russa, EP-1, EF-1

Une « Little Joe » arrive à Deer Lodge, Montana en 1971.

Photo : Drew Jacksich, CC-BY 2.0, source

Série de locomotives électriques produites par General Electrics.

Elles tiennent leur nom de Joseph Staline, car elles devaient être vendues à l’URSS. La vente ne se faisant pas à cause de l’évolution de la Guerre froide, GE reste avec ces machines sur les bras.

Personne n’en voulant, les 12 premières machines produites sont revendues vers 1948 au Milwaukee Road au prix de la ferraille, les E20 et E21 étant utilisées pour le service voyageurs.

Les utilisateurs de ces machines ont été :

  • le Milwaukee Road (12 machines), type EP-4 (passagers, E20 et E21) et EF-4 (fret, E70–E79), exploitées jusqu’en 1974
  • le South Shore (3 machines ; série 900, exploitées jusqu’en 1983)
  • la Companhia Paulista de Estradas de Ferro (5 machines, passées au FEPASA, exploitées jusqu’en 1999).

5 machines sont préservées aux USA.

Afin d’éviter une rupture de charge des trains intercontinentaux utilisant des machines Diesel, le Milwaukee se contente souvent d’atteler une locomotive électrique devant les Diesel.

En 1973, faisant face à de grosses difficultés économiques, le MILW décide d’unifier son parc et de cesser l’exploitation des locomotives électriques. Malgré les analyses externes, les caténaires sont retirées... à la veille du premier choc pétrolier. La compagnie ne s’en remettra pas : une banqueroute en 1977 la force à abandonner son réseau de montagne, qui finit dans l’escarcelle d’autres compagnies, ou carrément en friche.

134 miles sur le Virginian

Le Virginian Railway a longtemps été un grand pourvoyeur de charbon sur la côte est. Ce chemin de fer est devenu très riche de ce trafic, malgré sa toute petite taille. Avec ces revenus confortables, le Virginian fait son possible pour les améliorer, et conserver son avantage commercial.

Les locomotives au charbon coûtent cher sur les lignes de montagne ? Qu’à cela ne tienne : le VGN signe en 1922 un chèque énorme pour faire électrifier 134 miles sur les 545 miles de la (toute petite) main line en sa possession. Il s’agit alors du plus gros contrat jamais signé pour électrifier une ligne de montagne.

Comment souvent, les machines sont uniques en leur genre :

463 📝
Virginian EL-1A et EL-3A
EL-1A, EL-3A

La « locomotive » n°100.

Photo : domaine public, source

Séries de locomotives électriques du Virginian Railway, construites par Alco et Westinghouse en 1925–1926.

Trente locomotives sont regroupées en dix lots indéformables. Chacun de ces couplages est considéré par le Virginian comme n’était qu’une unique locomotive (série EL-3A n°100–109), donnant une étonnante configuration (1B+B1)+(1B+B1)+(1B+B1).

Cinq machines sont utilisées seules (série EL-1A n° 110 à 115)

L’énergie mécanique est transmise par un faux-essieu à l’essieu le plus à l’arrière du bogie moteur. L’énergie mécanique est ensuite transmise par une bielle interne à l’autre essieu du bogie.

Les performances sont impressionnantes pour l’époque : deux EL-3A, placées en tête et en pousse d’un train de 6000 tonnes arrivent à le tracter à près de 25 km/h en rampe de 21 ‰, là où les locomotives à vapeur Mallet dépassent tout juste 10km/h en tête de 5500 tonnes.

Ces machines, très performantes, subsisteront jusqu’en 1953.

Le Norfolk and Western électrifiera aussi une partie de son réseau à partir de 1913, mais de manière moins impressionnante (84 kilomètres). L’électricité pour ce réseau viendra d’ailleurs du Virginian. La traction électrique est abandonnée sur le NW en 1950 ; sur le Virginian, elle disparaît en 1963, peu après la fusion du Norfolk and Western, du fait de la basse du trafic de charbon.

Au charbon en Colombie-Britannique

Nous n’allions pas pouvoir passer à côté du Canada ! Ce pays se distingue avec un projet plus récent que les autres, en Colombie-Britannique.

En 1983, BC Rail construit une nouvelle ligne au nord de Prince George : la Tumbler Ridge Subdivision. Cette branchline de 180 kilomètres mène a deux mines de charbon. La traction Diesel aurait été choisie si le parcours ne comprenait pas deux tunnels de 6 et 9 kilomètres de long. Les tunnel motors ne pouvant pas (encore) passer de tels obstacles, ainsi que la proximité avec un important barrage hydro-électrique, décident BC Rail à tirer des caténaires. Des machines spécifiques sont construites :

462 📝
GMD GF6C

La locomotive 6001 au rince George Railway and Forestry Museum

Photo (modifiée) : Alasdair McLellan, CC-BY-SA 4.0 International, source

Série de locomitives électriques construites par GMD et Allmänna Svenska Elektriska Aktiebolaget (Suède) pour exploiter la Tumbler Ridge Subdivision de BC Rail.

Sept machines de type CC sont produites entre 1983 et 1984. Elles fonctionnent en 50 kV courant alternatif. Elles sont retirées du service en 2000. Une des machines est préservée au Prince George Railway and Forestry Museum.

Le trafic devait être important et générer du chiffre d’affaires. Mais les prédictions étaient fausses : rapidement, seul un train par jour circule, et BC Rail n’arrive pas à rembourser ses dettes. La ligne ferme partiellement en 2000 : la portion vers les mines, passant par les tunnels, est abandonnée, le reste de l’exploitation revenait à des machines Diesel.

Il ne s’agit pas du seul exemple d’une ligne électrifiée qui est remplacée par des Diesels en Amérique du nord. Et de manière amusante, une locomotive est presque à chaque fois impliquée dans ces fermetures :

467 📝
GE E60
E60, E60C, E60C-2, E60CP, E60CH, E60MA

Unité multiple sur le Black Mesa and Lake Powell Railroad

Notez les machines portant encore la livrée du NdeM. Photo : hargloub, CC-BY-NC-SA.

Série de locomotives électriques de type CC, construites par GE Transportation Systems entre 1972 et 1983.

Plusieurs sous-séries seront proposées pour différents clients aux USA et au Mexique, tant pour le trafic de voyageur que pour des trains miniers.

Avec 73 exemplaires construits, il s’agit d’une des locomotives électriques 100% made in USA les plus courantes de l’ère moderne.

Le Black Mesa and Lake Powell Railroad (BM&LP) est le premier utilisateur des E60C, en 1973 et les utilisera jusqu’à sa fermeture en décembre 2019.

Également en 1973, l’Amtrak commande cette locomotive pour le Northeast Corridor ; deux versions sont livrées :

  • E60CP, avec un générateur de vapeur pour chauffer les voitures,
  • E60CH, avec une ligne électrique dédiée au chauffage.

Ces E60 sont rapidement retirées du service à grande vitesse, du fait de déraillements. Elles sont alors engagées sur la traction de trains lourds. Toutes sont passées en grande révision dans les années 1980 pour appliquer le modèle E60CH, devenant les E60MA. La dernière quitte le service en 2003. Amtrak n°603 est préservée au Railroad Museum of Pennsylvania.

New Jersey Transit achète 10 E60CH en 1984. Elles servent au service de banlieue à grande distance et sont retirées du service en 1998.

Le plus gros client est les Ferrocarriles Nacionales de México, qui en commandent 39 pour leur nouvelle ligne entre Mexico City et Querétaro. La ligne ouvre en 1994, mais les caténaires sont retirées par Transportación Ferroviaria Mexicana immédiatement après la privatisation de 1997. Les 28 E60C-2 livrées sont alors retirées du service, certaines n’ayant jamais roulé. Le reliquat ne quittera même pas l’usine texane.

22 retournent chez GE (TFM les échange avec des AC4400CW), les autres sont ferraillées. Certaines sont revendues aux chemins de fer miniers, très contents de ces machines puissantes :

  • six vont au au BM&LP, pour remplacer les locomotives précédentes ; elles y gardent leur livrée NdeM.
  • Trois pour Texas Utilities (mais la ligne sera convertie au Diesel en 2011),
  • cinq vont au Deseret Power Railway, qui avait déjà acheté deux E60C-2 neuves lors de la commande du NdeM. Trois E60 y sont toujours en service.

Projets à grande vitesse

La création de l’Amtrak était, pour certains, une manière de laisser mourir dignement les derniers trains de voyageurs exploités par les anciennes compagnies. Après tout, dans les années 1970, le courant de pensée était que tout le monde a une voiture, et l’avion sert pour le reste ! Sauf que l’Amtrak s’est bien accroché, à investi et est resté au niveau des compagnies de classe I. Jusqu’à la pandémie de Covid-19, la fréquentation des trains ne faisait qu’accroître.

La question de conserver les atouts des trains de voyageurs est une problématique constante pour l’Amtrak. Qui dit trains de voyageurs roulant sous caténaire dit expertise européenne ; comme abordé plus haut avec les B60, les machines locales ne convenant pas toujours. Amtrak fait appel aux entreprises européennes pour tester diverses machines. La Suède prêtera une locomotive de sa série Rc, puis plus tard un exemplaire de leur train à grande vitesse X2000. L’Allemagne enverra un ICE 1. La France ne sera pas en reste :

459 📝
Amtrak X996

La X996 au dépôt de Wilmington

Photo : document promotionnel de l’Amtrak, domaine public, source

Locomotive de la SNCF n°CC 21003, louée à l’Amtrak en 1977 lors de leurs recherches d’une nouvelle locomotive pour remplacer les GG1 sur le corridor nord-est.

La machine a donc été rééquipée par Alstom avec des éléments compatibles avec la ligne concernée ainsi que les réglementations de l’AAR : transformateur, pantographes plus hauts, signalisation en cabine, fanal, cloche, etc. Une fois les tests terminés, la machine a été remise dans son état initial, et retournée à la SNCF. La série ne sera pas adoptée, du fait du comportement de la machine sur les voies.

Toutes ces expérimentations aboutiront à la création du service Acela. Il s’agit du seul projet de grande vitesse ferroviaire en activité en Amérique du Nord. Cette grande vitesse (plus de 200 km/h) n’est hélas possible que sur 50 kilomètres, mais un projet de construction de lignes a été approuvé (Northeast Corridor Dedicated Track), tout comme d’autres projets. L’Acela a du matériel dédié, où l’on trouve à nouveau des noms européens (même si tout le matériel est construit aux USA) :

465 📝
Acela Express

Rame Acela Express en 2018

Photo : Han Zheng, CC-BY-SA 2.0, source

Ensemble de 20 rames à grande vitesse, exploitées par l’Amtrak pour le service Acela, sur le corridor nord-est.

Construites entre 1998 et 2001 par un consortium composé de Alstom (25%) et Bombardier (75%), ces rames assurent le service depuis 2000. La composition est de 6 voitures encadrées par deux locomotives.

Sa vitesse de pointe est de 240 km/h.

L’Avelia Liberty, qui doit aussi être utilisé sur la LGV californienne, doit leur succéder fin 2023.

466 📝
Avelia Liberty
Acela II

Avelia Liberty en test en 2020

Photo : Simon Brugel, CC-BY-SA 4.0, source

Rames à grande vitesse, construites depuis 2017 par Alstom pour le marché nord-Américain.

La commande initiale concerne 28 rames, exploitées par l’Amtrak pour le service Acela, sur le corridor nord-est. Les spécifications de ces rames font qu’elle pourraient être choisies pour la California High-Speed Rail.

Ces rames doivent entrer en service en 2023. La composition est de 9 voitures encadrées par deux locomotives. Leur vitesse de pointe est de 260 km/h.

L’Avelia Liberty remplacera les Acela Express.

La Californie est le lieu à suivre pour les prochaines électrifications, avec le projet si critiqué du California High-Speed Rail (Los Angeles - San Francisco), qui inclut l’électrification du Caltrain. Un article futur en parlera en détails.

Enfin, les USA (re)découvrent les bénéfices de la fée électricité !

À propos de l’auteur

Modéliste ferroviaire depuis l'adolescence, je travaille aujourd'hui sur un réseau en N canadien orienté opérations ferroviaires. J'aime aussi sortir des sentiers battus (la voie étroite n'est jamais loin) et réfléchir à la pratique modéliste.

Voir sa présentation et ses articles.

Sauf mention contraire, le texte et les photos de cet article sont disponibles sous licence Creative Commons BY-NC-SA.

Crédits : sauf mention contraire, texte et photos par BEn ; CC-BY-NC-SA ; Trains des Amériques, Trains des Amériques.

Permalien : https://www.trainsdesameriques.fr/?article142