Imaginez les chemins de fer aux USA avant l’USRA : c’est une presque catastrophe. Économiquement, de multiples crises économiques ont frappé les chemins de fer. La concurrence est rude. Par ailleurs, plusieurs décisions politiques au début du XXe siècle quant au tarifs régulés pour le transport des marchandises et la mise en place de l’Interstate Commerce Commission (ICC) ont fortement impacté le chiffre d’affaires des compagnies ferroviaires. D’importantes sommes sont investies pour renouveler les trains et les installations, mais restent limitées par rapport aux besoins réels.
Chacun choisit (ou construit) comme il peut wagons et locomotives. Quelques fabricants tirent leur épingle du jeu, mais vendent de petits lots de matériel. Les nombreuses compagnies existantes fusionnent ou rachètent d’autres lignes au gré des banqueroutes, obtenant ou laissant un marché important de matériel pas-trop-usagé-mais-un-peu-quand-même à disposition. Il est donc fréquent que le parc de matériel d’une compagnie soit très hétéroclite, issu de multiples mélanges, pesant sur sa maintenance. on en est encore à changer d’attelages pour permettre les interchanges. Et ce sans compter l’état général des voies, souvent déplorable, et des installations et des processus pas toujours unifiés qui grippent les échanges entre compagnies.

La guerre
Or, en ce premier quart de siècle, les chemins de fer sont la seule composante de transport, hors transport maritime et fluvial, permettant de transporter en masse tout ce qui est nécessaire à la vie d’un pays. La guerre mondiale qui démarre en 1914 en Europe, et dans laquelle les USA ne sont pas encore impliqués directement, démontre déjà le manque de moyens pour transporter le matériel militaire ou la nourriture vendue aux Alliés européens. Une tentative de rapprochement des compagnies de chemin de fer, à l’initiative des compagnies, a lieu, mais la loi anti-trust tue cet effort dans l’œuf.
L’entrée en guerre des États-Unis, le 6 avril 1917 confirme l’impréparation des compagnies ferroviaires. Les chemins de fer sont incapables de suivre l’effort de guerre tout en assurant le transport du nécessaire. Or, leur matériel et leurs voies étant réquisitionnés pour transporter les troupes et le matériel, le pays risque de ne plus être ni nourri ni chauffé. Il est donc nécessaire d’agir rapidement et mettant autour de la table les investisseurs, les dirigeants, les syndicats et les clients. Par conséquent, le gouvernement fédéral décide ni plus ni moins de nationaliser les chemins de fer, le 28 décembre 1917.
L’USRA en action
Immédiatement, l’United States Railroad Administration réorganise les mouvements des trains en donnant priorité aux trains de charbon, en organisant des pools de wagons couverts pour le transport du grain [1] ou en créant de nouveaux trains directs. L’accès aux ports est facilité pour chaque compagnie afin de réduire les ruptures de charge. Certains services redondants sont supprimés, et les ateliers et installations terminales sont mutualisés.
Un bilan du matériel est effectué, montrant une disponibilité de quelques 61000 locomotives, 2250000 wagons et 58000 voitures. Les estimations sont formelles : ce n’est pas assez : pour travailler correctement, il manque 158000 wagons. C’est sur ce point que l’USRA va définitivement laisser sa marque, en commandant pour 380 millions de dollars de l’époque de matériel roulant. Ainsi, près de 100000 wagons et un peu plus de 1900 locomotives à vapeur font être commandées, suivant des plans définis par l’USRA, sur la base de ce que les constructeurs proposent. Et cela a lieu en quelques mois !
Le matériel USRA
Le matériel qui suit est construit rapidement par les industriels. Il s’agit des conceptions les plus avancées pour du matériel ferroviaire, les plus modernes et les plus performantes. Ce matériel est destiné à remplacer les vieux wagons en bois et les vieilles American datant du XIXe siècle.
on distingue deux types de locomotives USRA : les « originales », commandées et payées par l’état fédéral et les « copies » commandées après l’ère de l’USRA, directement par les compagnies.

255 modèles construits par l’USRA, hors copies.

175 modèles sont produits, mais ils séduisent les chemins de fer. Ainsi, 1200 locomotives copies des USRA seront produites !

Machine du New York Central Railroad avec le marquage de guerre « U. S. ». Les Light Mikado sont très populaires avec 625 modèles construits par l’USRA (c’est la plus grande série), plus 641 copies. Beaucoup rouleront jusqu’à leur remplacement par des diesels dans les années 1950.

Cette machine de forte puissance devient après le mandat de l’USRA un standard plébiscité par les compagnies. Aux 233 machines originales, il faut ajouter 724 copies.

94 locomotives construites pour tracter les trains lourds de charbon ou de minerai.

81 machines sont construites, sans compter les copies, pour les trains légers de passagers.
L’Atlantic Coast Line n°1504 (photo) est la seule Light Pacific préservée, et est un monument du National Register of Historic Places des États-Unis.
Il faut aussi compter les machines suivantes :
- USRA Heavy Santa Fe, 175 machines construites pour les trains de minerai ou de charbon.
- USRA Heavy Pacific, pour trains de passagers ; 20 originales et 17 copies.
- USRA Light Mountain, pour trains de fret, 47 originales et 90 copies.
- USRA Heavy Mountain, pour trains de fret, 15 originales et 37 copies.
- USRA 2-6-6-2, locomotives articulées pour trains lourds sur de petites lignes ; 30 originales et 10 copies (en 1949).
- USRA 2-8-8-2, locomotives articulées pour trains lourds en montagne ; 80 originales et plus de 110 copies.
Côté wagons, seulement six types sont définis :

Il s’agit d’une copie construite en 1922 et vendue au Wabash, comme plusieurs centaines d’autres.
- 50-ton Single-Sheathed Box Car, 25000 exemplaires
- 50-ton Drop-Bottom Gondola, 20000 exemplaires
- 40-ton Double-Sheathed Box Car, 25000 exemplaires
- 55-ton Steel Twin Hopper, 5000 exemplaires
- 70-ton Steel Drop-End Mill Gondola, 5000 exemplaires
Les chiffres sont données pour ceux commandés par l’USRA. Cependant, les compagnies en achèteront bien d’autres pour renouveler leur parc. Par conséquent, les variantes sont innombrables !
Il existe cependant des listes de constructeurs et d’utilisateurs, telle que celle-ci, fort complète.
La fin de l’USRA
Dès la fin du conflit, les investisseurs exigent rapidement un retour de leurs compagnies dans leur portefeuille. Pour eux, le gâteau est énorme. Non seulement les chemins de fer sont équipés de neuf, avec des facilités d’échanges avec les autres compagnies, mais en prime, l’état fédéral paye une compensation pour le chiffre d’affaires non obtenu durant la nationalisation. Les syndicats ne sont guère d’accord pour ce retour dans le privé, mais le capitalisme prévaut ; les ouvriers ont néanmoins gagné une augmentation salariale des plus petits salaires.
L’USRA est dissoute le 1er mars 1920. L’Interstate Commerce Commission devient alors le régulateur des chemins de fer aux États-Unis, donnant son avis sur les fusions et acquisitions des compagnies. L’ICC détient ce rôle jusqu’à sa dissolution en 1996 au profit du Surface Transportation Board.
L’héritage de l’USRA

La fin de l’USRA n’est pas sans laisser de traces sur les rails. La plupart des locomotives de route, telles que les Light Mikado, restent en service jusqu’à la transition era dans les compagnies qui les ont reçues. Certaines machines, chassées de leur chemin de fer d’origine par d’autres modèles plus modernes, feront leur fin de carrière sur des chemins de fer moins importants, voire sur des shortlines et ce jusqu’à la toute fin de l’âge de la vapeur.
Les plans des locomotives seront toujours utilisés : les 141 R livrées à la France sont des Light Mikado, et les dernières locomotives à vapeur construites aux USA dans les années 1950 sont des types USRA.
Côté matériel roulant, beaucoup de wagons restent présents sur les rails après la Seconde Guerre mondiale. Certains survivront même jusqu’aux années 1960, en étant reconstruits.
Les interchanges entre compagnies sont facilités par le matériel unifié et le travail réalisé en commun durant trois ans, augmentant les volumes transportés. Les années 1920 seront l’âge d’or des chemins de fer en Amérique du Nord.
Cet héritage fait que les types USRA, tant pour les locomotives que les wagons, sont un élément indispensable à avoir sur tout réseau miniature placé entre les années 1920 et la fin des années 1950. Et c’est très facile : la popularité de ces matériels fait que tous les constructeurs (ou presque) ont mis des locomotives et wagons USRA à leur catalogue.