Trains des Amériques

Événement

Frais de douane aux USA : les trains miniatures en danger ?

Sauf mention contraire, Texte et photos : BEn
Trains des Amériques, mai 2025

Il n’a échappé à personne que la politique commerciale de la seconde administration Trump, amenant à accroissement colossal des frais de douane, impacte absolument tout le monde. Le monde de trains miniatures américains est mis en grand danger.

Le signal d’alarme a été tiré par plusieurs marques :

Alors comme ça on produit en Chine ?

En dehors de Accurail (HO), Kadee (HO) et Micro-Trains Line (HO, N et Z), qui sont restés aux USA, ou Kato qui produit toujours au Japon, toutes les autres entreprises de modélisme ferroviaire ont déménagé leur production vers la Chine. La délocalisation n’est pas nouvelle, car dans les années 1980-1990, les locomotives de luxe, en laiton, étaient produites de manière semi-industrielle en Corée du Sud. L’Europe a aussi suivi : la vaste majorité des trains miniature européens est elle aussi produite dans l’Empire du milieu. Les produits de décor et les bâtiments en kit viennent de Chine, mais aussi de Taïwan et du Vietnam, deux pays tout aussi concernés par les augmentations des droits de douane.

Jason Shron, le patron de Rapido Trains, est très ouvert et transparent sur ces sujets. Pour lui, la raison de la délocalisation est double. Tout d’abord des coûts de production, qui sont moindre en Chine. Certains fabricants mettent en avant que le coût de la vie en Chine est aussi bien moindre, et que les personnes qui travaillent à la production de trains miniatures sont bien payées — à voir. L’autre point mis en avant, est que les compétences et l’infrastructure de production n’existent pas aux États-Unis, et que la qualité des produits actuels est inédite [1], même par rapport à l’époque à laquelle des productions étaient faites sur le continent Américain.

Accurail, Kadee ou MTL apprécieront l’analyse quant à la compétence, mais il faut constater que ces marques ne produisent pas de locomotives... Et, sauf erreur, personne n’en produit de manière industrielle en Amérique du nord [2]. Remettre la production de trains miniatures aux USA demandera d’immenses efforts financiers pour acquérir l’outil de production et trouver les compétences sur place, sans compter la logistique.

Si la diversification des fournisseurs et l’exploration de nouvelles technologies, comme l’impression 3D, est en marche pour compenser une coupure aussi brusque avec les usines asiatiques, ces changements nécessitent des investissements importants et du temps. Les entreprises du secteur plaident donc pour une exclusion tarifaire afin de maintenir la viabilité économique et de soutenir les petites entreprises qui composent l’industrie du train miniature, et, plus largement des loisirs.

145% d’augmentation !

Pour le moment (!), les droits de douane posent problème pour les produits de loisirs, quels qu’ils soient [3]. Ils sont de trois types :

  • les droits de douane habituels — section 301 — sur les marchandises chinoises, soit 25% ;
  • les droits de douane mis en place via l’[International Emergency Economic Powers Act] par l’administration Trump, les fameux 125 % ;
  • les droits de douane liés au fentanyl (environ 20 %), car tout produit venant d’un pays qui serait producteur de cette drogue est impacté !

Ces droits de douane entraînent des prix plus élevés de... 145% ! Cela signifie moins de choix (car il y a un accroissement des frais d’import), des perturbations des chaînes d’approvisionnement et des difficultés pour les petites entreprises, qui voient leur marge disparaître pour payer les frais de douane. La majorité des entreprises dans le secteur du train miniature sont des petites entreprises, pour qui l’augmentation des prix peuvent entraîner des licenciements ou des fermetures des bureaux d’études ou des revendeurs.

Le développement de produits dans l’industrie des loisirs rend les droits de douane plus perturbateurs en raison des investissements initiaux en recherche et développement aux États-Unis. Les moules et les outils de précision pour produire des composants en plastique ou en métal, sont souvent financés par les entreprises américaines et peuvent devenir des actifs immobilisés, donc non-utilisables, voire saisis, en cas de nouveaux droits de douane.

Un autre cas intéressant concerne les décodeurs DCC montés sur les locomotives en usine, qui subissent un double traitement. En effet, les décodeurs de SoundTraxx ou NCE, par exemple, sont fabriqués aux USA et subissent les droits d’imports que la Chine a mis en place en rétorsion aux droits états-uniens. Quand la machine revient aux USA, son décodeur est à nouveau taxé !

Les fabricants l’annoncent sur leurs sites : « nous ne serons plus en mesure d’honorer les commandes en attente et les réservations anticipées à leur prix d’origine ». Est-ce que le consommateur final acceptera de payer 73,5 dollars un wagon initialement à 30 dollars ? Une locomotive, c’est x10 ! On peut imaginer que le marché de l’occasion va bien se porter, voire subir une inflation. Et les partisans du do-it-yourself auront sans doute l’occasion de recruter, mais en sachant qu’il y aura sans doute moins de pièces détachées.

Bref, cette situation des tariffs est dénoncée par la Hobby Industry Coalition, qui représente les entreprises, éducateurs, détaillants, créateurs et consommateurs du secteur des jouets et loisirs aux États-Unis. Elle milite pour une politique commerciale équitable et ciblée, qui soutient les petites entreprises, protège l’accès à l’éducation et favorise l’innovation.

Si la coalition ne s’oppose pas à tous les droits de douane, elle en dénonce les abus, notamment lorsque des biens de consommation et éducatifs à faible risque sont classés dans des catégories à haut risque sans justification (bonjour le fentanyl). Elle appelle à ce que des exclusions soient mises en place pour leurs produits — car totalement mineurs par rapport au marché de la voiture ou de l’acier — et à ce que le processus de révision des produits soit transparent concernant les exemptions. On l’a vu avec certains produits comme l’électronique de communication, qui a été rapidement retirée de la taxation pour que les USA continuent d’avoir des téléphones portables neufs.

Quel risque en Europe ?

Pour les amateurs de train miniatures non-américains, les frais de douane sont inchangés : votre matériel Jouef devrait continuer à arriver sur vos rails. Mais il se peut que certaines usines, utilisées conjointement par plusieurs fabricants internationaux, subissent un ralentissement : moins de trains pour l’Amérique, c’est moins de travail à l’usine, donc moins de personnel, donc un rallongement des délais.

Pour les amateurs de trains américains basés en Europe, qui constituent un tout petit marché par rapport à l’Amérique du nord [4], outre un ralentissement significatif des productions, il y a plusieurs possibilités.

La première est que l’import continue de se faire via les USA. Le gros souci est que la plupart des importations en Europe sont faites individuellement, par des commandes passées par les magasins spécialisés directement aux USA, ce qui nous ferait subir les 145% d’augmentation, sans compter les frais d’import vers l’Europe. Contactés, les commerçants chez qui j’achète mes trains nord-américains sont unanimes : « personne ne nous répond concernant la situation ».

L’autre option est de passer par la Chine directement, mais ce type d’import-export, pour le tout petit marché que constitue l’Europe ferromodéliste ne se fera ni rapidement ni sans augmentations de prix lié aux frais d’envoi. Bachmann a sans doute le meilleur réseau, et donc la meilleure réponse, avec ses bureaux solidement implantés en Allemagne suite au rachat de Liliput il y a bien longtemps. Rapido, qui a des bureaux en Angleterre, importera sans doute via cette base — entreront alors dans le jeu les frais d’import pour les clients d’Europe continentale que le Brexit a générés — à moins que nos marchands européens ne passent commande directement au Canada.

La situation évolue toujours très vite, et il se peut que cet article de début mai 2025 soit rapidement dépassé...


Notes

[1Est-ce que cela sera l’occasion de réfléchir à ce que nous souhaitons comme niveau de détails pour nos petits trains ?

[2MTL a produit des locos en Z mais ne semble plus le faire — à date de rédaction, leur catalogue est vide.

[3Le marché des jeux de société, jusqu’alors florissant aux USA et basé sur de petits sociétés d’édition, est complètement à l’arrêt.

[4Rapido a 70% de son marché aux États-Unis, le reste concerne le Canada, avec des modèles très spécifiques en petites séries (« pour le réseau du patron »), et le marché massif que représente l’Angleterre. Ils m’ont clairement dit que l’Europe continentale ne les intéressait pas.

À propos de l’auteur

Modéliste ferroviaire depuis l'adolescence, je travaille aujourd'hui sur un réseau en N canadien orienté opérations ferroviaires. J'aime aussi sortir des sentiers battus (la voie étroite n'est jamais loin) et réfléchir à la pratique modéliste.

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