Trains des Amériques

Railfaning

Vieux trams à San Francisco

Sauf mention contraire, Texte et photos : BEn
Trains des Amériques, avril 2022

San Francisco est un petit paradis ferroviaire. Les cable cars sont emblématiques, le métro BART a longtemps été présenté comme une prouesse technologique. Mais le réseau de tramway est moins connu, en particulier les lignes E et F exploitées avec du matériel historique.

Une ville de tramways

Le besoin en transports en commun dans une ville aussi grande que San Francisco ont rapidement émergé. Plusieurs compagnies ont ainsi obtenu des concessions pour construire ou exploiter des lignes d’omnibus, de tramways hippomobiles ou à traction électrique, ou, pour certaines qui souhaitaient grimper le long des rues pentues de la ville, des cable cars.

Market Street vers 1925
State Government Photographer, CC0 (source)

Depuis 1912, le « Muni », diminutif du San Francisco Municipal Railway, dessert la ville de San Francisco. Son origine date des suites le tremblement de terre de 1906 : la ville est détruite, tout est à refaire. Les citoyens décident de mettre en place une régie municipale de transports plutôt que d’avoir pléthore de compagnies qui se roulent les unes sur les autres. Bien entendu, plusieurs compagnies existantes sont reconstruites, mais elles n’arrivent pas à suivre : progressivement, la régie absorbe ses compétiteurs.

Comme partout, les trams sont chassés de la ville après la guerre : peu d’investissements sont réalisés, et, bien entendu, il faut donner toute sa place à l’automobile. Des trolleybus prennent le relais, mais trois lignes de tram subsistent, car principalement en site propre. Les trams les plus « modernes », des PCC streetcar datant de la guerre, sont utilisés sur ces lignes.

Le MUNI n°1 Sur la ligne J en 1982
Marty Bernard, Domaine public (source)

C’est aussi à cette époque que les autorités réfléchissent à la desserte de San Francisco et de la Baie. « SF » est sur une presqu’île et bien des industries et des logements sont situés au nord (comté de Marin) ou à l’est (Oakland, Berkley...). Des ponts ont bien été construits dans les années 1930 (le Oakland Bay bridge et un certain Golden Gate bridge), mais ils sont insuffisants pour absorber le trafic. L’autre option pour traverser la baie sont les ferrys (le State Belt Railroad a exploité des wagons venue par ferry jusque dans les années 1950 du côté d’Embarcadero), fortement délaissés.

L’option d’un réseau de transport rapide est actée : il s’agit du Bay Area Rapid Transit (BART). Le plan pour ce métro semi-automatique prévoit une desserte locale de San Francisco, qui va directement concurrencer le Muni sur Market Street, l’artère principale de la ville. Mais les coupes de budget obligent à quelque peu à revoir le plan, et le Muni tire son épingle du jeu : le tramway restera, mais sous la rue.

Ainsi, Market Street sera « libérée » des tramways entre le Ferry building et Castro, et les trois lignes subsistantes du vieux réseau seront définitivement sauvées. Le nouveau service, souterrain, est mis en place en 1982. Remplacées par du matériel plus moderne et adapté à la configuration mini-métro/tramway, les vieilles rames PCC sont destinées à être envoyées à la casse.

Le tram n°1 suivi par un de ses remplacants, un tram Breda LRV
Photo prise au terminus occidental de la ligne L, près du zoo de San Francisco, lors d’une marche spéciale pour le n°1.
Elizabeth K. Joseph, CC-BY 2.0 (source)

Le cable-car à la rescousse

Croisement du Blackpool « boat » n°226 et du Muni n°1 lors du festival de 1983.
Steve Morgan, CC-BY-SA 4.0 (source)

Durant tout ce temps, le cable-car vu sur toutes les cartes postales et dans tous les films, sur-utilisé par les touristes, a vieilli au delà d’une simple maintenance. Il besoin d’un bon coup de jeune. Les travaux commencent en 1982 (coïncidence) : deux années d’efforts sont prévues pour renouveler toutes les installations et restaurer le matériel.

Pour le tourisme, c’est une catastrophe ! Deux années sans ce moyen de transport vintage sont impensables. La chambre de commerce et le Muni ont donc l’idée d’utiliser les voies sur Market Street pour y faire rouler les vieux trams. Après tout, les rails sont toujours là, autant s’en servir, et quelques passionnés ont gardé des rames PCC et quelques autres modèles anciens...

Le premier San Francisco Historic Trolley Festival a lieu en 1983 et, contrairement aux prédictions des Cassandre, c’est un succès ! Les vieux trams ressortent du dépôt, certains sont prêtés ou donnés par des particuliers ou des villes amies : Melbourne, Portland, Porto, Milan, Hambourg... Durant le festival, certains constructeurs montrent leurs prototypes et on ressort aussi des vieux trolleys.

Limité dans un premier temps à son parcours sur Market street (de Castro jusqu’au Transbay Terminal), une incursion est tentée en septembre 1987 sur les voies d’Embarcadero, récemment abandonnés par les trains de fret. Sans caténaires, l’énergie est fournie grâce à un générateur attelé au tram.

Le festival est reconduit chaque été. En 1987, la décision a été prise après concertation : le festival s’arrête, car les tramways historiques redeviendront une composante du réseau du Muni, la F-line. Les trams sont la propriété du Market Street Railway et exploités par le Muni.

Les lignes actuelles

Né en 1896 mais toujours vaillant !
Le Market Street Railway n°578 ne sort qu’exceptionnellement.
LarryC128, CC-BY 2.0 (source)
Tram Peter Witts n°1807
Le pont au fond est le Oakland Bay Bridge
Nemo bis, CC-BY-SA 3.0 (source)

La F-Market, du nom de son parcours, n’est ouverte qu’en 1995. Il a fallu avant continuer de convaincre les pessimistes et monter un budget, incluant la restauration des voies et, pour les trams à cabine de conduite unique, la construction d’une boucle de retournement devant le Ferry building, le Transbay Terminal ayant été reconstruit sans rails.

Les PCC provenant du parc san-franciscain, sont repeints dans les différentes livrées du Muni. Le parc a été complété par des trams achetés à Philadelphie et Newark, repeints aux couleurs de villes des États-Unis et du Canada pour célébrer les anciens réseaux [1]. Deux douzaines de PCC sont en service, indifféremment des single-ended cars ou des double-ended cars. S’ajoutent à cela un tram de la Nouvelle-Orléans, mais aussi de vieux trams de SF, dont le premier tram du Muni, datant de 1914, ou le plus vieux tram de la ville, acheté par le Market Street Railway en 1896.

11 trams Peter Witt provenant de Milan sont aussi en service, ainsi que toute une liste de trams provenant de l’étranger : Moscou, Osaka, Kobe, Hiroshima, Blackpool (Angleterre - deux trams sans toit !), Melbourne, Porto, Bruxelles (en livrée Zürich)...

En 2000, la ligne F est prolongée vers Fisherman’s wharf, haut lieu du tourisme. Elle dessert tout Embarcadero. Elle devient la F-Market & Wharves.

Plus récente, la ligne E, E-Embarcadero, ouvre en 2008, desservant la partie est d’Embarcadero. Exploitée le week-end, elle passe en service continu en 2016. Son exploitation est assez chaotique avec des coupures, la dernière en date étant due au Covid.

Il y a des projets dans les tuyaux concernant les trams. Outre la restauration de la flotte, la ville envisage de desservir le quartier de Marina Boulevard avec la ligne F, via le tunnel déclassé du State Belt Railroad qui passe sous Fort Mason. Par ailleurs, une réorganisation de la ligne F, avec un terminus partiel du côté du Civic center est prévue ; l’objectif étant d’optimiser la desserte de Market Street avec une réduction des arrêts ou une diminution des conflits avec les automobilistes.

À voir, à faire

Le tram 1006 en livrée Muni « wings ».
Pi.1415926535, CC-BY-SA 3.0 (source)

J’ai eu le plaisir de voyager plusieurs fois dans la Fog city, notamment le long des lignes historiques de tram. Croyez-moi, entre la E et la F, ainsi que la ville elle-même, vous avez largement de quoi vous occuper une bonne journée !

Mais avant de monter à bord, assurez-vous d’avoir une carte Clipper, qui vous permet de prendre le BART, les bus et trolleys, ainsi que toutes les lignes de tram. D’ailleurs, depuis l’aéroport, descendre du BART à la station Montgomery Street vous met tout de suite dans le bain : retrouver le soleil et l’air frais et en prendre plein les mirettes avec les gratte-ciels anciens et modernes, l’ambiance USA et des tramways qui passent en faisant ding-ding... Vécu !

Je vais prendre la ligne dans l’ordre en démarrant au sud, où Castro est le terminus de la ligne F. Les trams se reposent à Harvey Milk Plaza, où vous trouverez certainement une terrasse pour les observer tranquillement. À quelques blocs de là se trouve une certaine maison bleue...

L’arrêt Market and Church est le croisement de la ligne F avec la ligne J. C’est une des rencontres entre une ligne moderne et nos vieux trams. Sur le même thème, l’arrêt Market and Dolores / Buchanaa permet de voir le tunnel qui permet aux lignes J et L de plonger sous Market street. À Van Ness, deux voies de rebroussement sont posées dans la 11e rue ; elles servent uniquement en cas d’interruption de la F.

Market and 5th Street correspond à l’arrêt de BART Powell, un arrêt très utilisé, car en correspondance avec les deux lignes de cable-car Powell-Hyde et Powell-Mason. Si vous le pouvez, évitez de monter dans le tram à cet endroit, car il y a souvent la queue. Mieux vaut marcher un peu en profitant du couloir à courant d’air qu’est Market street ! C’est d’ailleurs entre Powell et le Ferry building que vous aurez la plus chouette vue sur Market street.

Ne cherchez plus les voies du côté du Transbay terminal, celui-ci ci ayant été reconstruit deux fois depuis qu’un tramway y a roulé.

Du côté de Drumm, la rencontre entre le tram et le cable-car
L’escalator permet de prendre les lignes de tram « régulières » et le BART.
Nicholas Hartmann, CC-BY-SA 4.0 (source)

L’arrêt Market and Main / Drumm (arrêt Embarcadero du BART est la correspondance avec la ligne de cable car de California street. Cette ligne est un peu plus délaissée par les touristes, car réputée comme étant moins « wow ». À faire quand même, car elle affronte des pentes plus impressionnantes !

Le tram 496, provenant de Melbourne, passe devant le Ferry building
DXR, CC-BY-SA 4.0 (source)

À quelques pas de là, sur Embarcadero Plaza, la voie quitte Market street et tourne le long du Southern Pacific building (un immeuble de bureaux, mais un immeuble ferroviaire !). Le point d’intérêt est surtout le Ferry building, dont l’arrêt éponyme est la correspondance avec la ligne E. À visiter : le San Francisco Railway Musuem, qui présente l’historique des trams à SF (attention, ce n’est pas le dépôt des trams !).

La ligne F file ensuite en direction du nord-ouest, desservant Embarcadero. L’arrêt The Embarcadero and Greenwich vous donne accès à la Coit Tower, en haut de Telegraph Hill, via les escaliers de Greenwich street. À visiter si on n’a qu’une journée à SF ! À The Embarcadero and Bay, vous accédez aux navettes qui vont à Alcatraz.

À The Embarcadero and Stockton, la double-voie se sépare en deux. L’arrêt vaut le coup, pour les lions de mer qui dorment ai Pier 39, mais aussi pour la « porte » à gauche du Pier 41, reliquat du ponton ferroviaire permettant de desservir le port de San Francisco depuis Tiburon, au nord de la Baie.

Jones and Beach est le terminus nord de la ligne. À pieds, vous pouvez jeter un œil au terminus de la ligne de cable car Powell-Hyde. Ensuite vous pouvez rendre au bout du Municipal Pier (la vue est vraiment chouette à la tombé de la nuit), ce qui est aussi un prétexte pour suivre la voie abandonnée du State Belt Railroad, qui part de Jefferson street et longe le Aquatic Park Historic District, jusqu’au tunnel qui passe sous Fort Mason.

Il est temps de reprendre le tram à Jones and Beach, pour parcourir la ligne E [2] ! Si vous voyagez avec une personne moins ferrovipathe que vous, le voyage sera moins intéressant pour ele. Passé le Ferry building, l’arrêt Folsom donne accès au Rincon Park, au pied du très impressionnant Oakland Bay bridge.

Sur ce tronçon la ligne E avec ses vieux trams partage la route avec des lignes N, T et S, toutes exploitées avec du matériel moderne. Vous le verrez, les quais ne sont pas les mêmes !

Le bout de la ligne est la gare de San Francisco ! De là, vous pouvez prendre le Caltrain qui vous emmènera vers le sud et la Silicon valley. Ou bien vous pouvez juste regarder les trains aller et venir (même si ce n’est guère varié). Pour revenir vers Market street, vous pouvez prendre le Central Subway (ligne T) [3]. Ou, si vous êtes baroudeur, vous pouvez prendre la ligne T jusqu’à Marin Street, pour y voir le dépôt du tram (moderne) ainsi que les dernières voies exploitées par le State Belt Railroad, avec du trafic fret dans la ville.

Pour voir le dépôt des trams anciens (Cameron Beach Yard), où des visites sont organisées, il vous faudra prendre le BART ou le tram J (arrêt Balboa Park). C’est aussi sur la J que vous pourrez voir, tôt le matin, les trams anciens qui vont, toujours vaillants, prendre leur service.

S’ennuyer dans un tram à San Francisco ? Impossible !


Aller plus loin

Le site du https://www.streetcar.org/ est consacré aux bus anciens, au trams et au câble car de San Francisco, ainsi qu’au San Francisco Railway Musuem. Vous y trouverez des infos sur chacun des trams parcourant la ligne F.


Notes

[1Le San Francisco Railway Musuem a édité un super poster avec les différents trams.

[2Du moins si elle a rouvert entre-temps, car elle est suspendue depuis le Covid, tout comme beaucoup de lignes de bus du Muni.

[3Du moins si elle a ouvert entre-temps, car le Covid a quelque peu ralenti le chantier.

À propos de l’auteur

Modéliste ferroviaire depuis l'adolescence, je travaille aujourd'hui sur un réseau en N canadien orienté opérations ferroviaires. J'aime aussi sortir des sentiers battus (la voie étroite n'est jamais loin) et réfléchir à la pratique modéliste.

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