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Après toutes ces années à présenter des aspects nord-américains du ferromodélisme, quel est selon toi le plus gros apport de ce continent sur notre pratique européenne ?
Tout d’abord la découverte de (grands) réseaux conçus de manière réaliste et les moyens et techniques qui permettent de les réaliser (infrastructure en L-Girders, aiguilles grand rayon, Zip texturing). Merci aux maîtres qui ont su entraîner très tôt leur compatriotes : Linn Westcott, John Allen, Frank Ellison, Alan Armitage !
Ensuite des produits de décor et les outils modernes que les européens ne connaissaient pas (Woodland Scenics, Evergreen, Campbell, Grandt Line, Northeastern, Dremel, …).
Également, le patinage du matériel roulant, l’art de l’exploitation (nécessitant un attelage efficace comme le Kadee — voir mes articles à partir de 1989), ou le concept des réseaux modulaires (premier groupe : N-Trak).
John Allen, un nom que tu as fait connaître dans la francophonie !
John Allen, avec son spectaculaire « Gorre & Daphetid Railroad » à l’échelle H0, a ajouté une dimension supplémentaire au modélisme. Son exemple et ses enseignements ont été déterminants dans l’évolution générale du train miniature ces dernières décennies.
Personnellement, les travaux de John sont une source d’inspiration sans limite et il est à la base de mon évolution. Ses enseignements sont valables pour tous les genres de réseaux qu’ils soient américains ou européens. Le livre que lui consacre Linn Westcott est à mon avis un must pour tout modéliste, novice ou expérimenté.
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As-tu une idée de la réciproque de ma première question : quels ont été, ou quels sont les apports de l’Europe aux modélistes américains ?
Quasi rien, car l’américain moyen vit replié sur les exemples et les pratiques de son immense pays. Encore aujourd’hui, je pense. Si une photo de mon modeste premier diorama s’est retrouvée dans Model Railroader en octobre 1978, c’était uniquement dû à l’ouverture d’esprit de Linn Westcott qui voulait élargir l’horizon de ses lecteurs malgré eux. À moins de faire de l’américain, un modéliste européen n’est normalement pas publiable dans les revues américaines.
Comment as-tu vu l’évolution des modélistes européens face à l’apparition du modélisme américain ? Quel a pu être l’impact sur l’Europe d’une approche modéliste différente, du fait de prototypes ou de pratiques différentes ?
Voir la première question. Les Européens (sauf les Anglais) ont été longs à convaincre des bienfaits des pratiques américaines ; je dirais plutôt anglo-saxonnes, car les Anglais n’ont jamais eu rien à envier aux Américains si ce n’est l’espace et l’argent. Dans les années 80, seule une minorité d’amateurs a embrayé.
Le modéliste moyen est conservateur dans l’âme et il ne s’est pas privé de critiquer les soi-disant « élitistes » dans mon genre (surtout en France et en Allemagne). Dans l’abondant courrier que la poste m’apportait avant l’usage de l’Internet, j’ai souvent eu droit à des insultes pour tout le mal que je faisais à notre hobby. Pour certains, j’étais même le fossoyeur de notre industrie traditionnelle. J’ai appris à les ignorer.
L’évolution s’est faite petit à petit, car les pratiques anglo-saxonnes apportaient quand même plus de satisfactions. De plus la multiplication des expositions a démontré que les réseaux au décor sensible attiraient plus les foules. L’arrivée de plus jeunes modélistes, plus ouverts au changement, a aussi contribué au mouvement. Aujourd’hui, le virage est pris mais il reste quelques ronchons qui le resteront jusqu’à leur mort.
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Y a-t-il des aspects du modélisme nord-américain que tu as tenté de transmettre et qui n’ont pas « pris », ou que tu n’as pas « osé » transmettre ?
Non, j’ai toujours parlé avec mon cœur et j’ai eu autour de moi assez d’encouragements à continuer. Bien entendu, il y a des aspects du modélisme américain que je n’ai jamais évoqués parce qu’ils me déplaisent personnellement, comme un certain manque de rigueur dans la conception des ouvrages d’art, mais cela est également vrai sur leurs lignes réelles. C’est un pays de pionniers ; le pragmatisme simplificateur et le bricolage y gouvernent souvent.
Chez nous, les écoles d’ingénieurs ont dicté leurs règles et l’image des ouvrages qu’ils ont conçus s’est inscrite dans notre mémoire avec leurs caractéristiques plus sophistiquées. De même, le traitement de la voie et de son environnement sur les réseaux américains reste en général à la traîne, je trouve. Il est vrai que plus le réseau est vaste, moins on se focalise sur les détails.
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Quel est selon toi l’aspect le plus américain de ton réseau ?
La conversion de l’antenne de Boswiller en ligne privée (encart « Voie Libre » du Loco Revue n°600). Elle s’est faite dans le prolongement immédiat de ma traduction du livre sur John Allen. Cela s’est fait en 1996, quand la mode en Europe a été à plus de fantaisie. La compagnie se voit dotée de matériel original comme l’autorail de la photo, racheté à vil prix des surplus de la DB (en réalité un modèle Trix de mon enfance partiellement repeint). Les trémies de la compagnie sont construites en adaptant un hopper Roundhouse de 26 pieds à un chassis Roco européen (Loco Revue n°606).
Les opérations ferroviaires réalistes sont un aspect du modélisme américain qui n’ont pas pénétré en Europe. Y avais-tu pensé ?
Mes vagues rêves d’exploiter Ferbach un jour en petit groupe se sont évanouis au fil de mes retards constructifs récurrents. Tout mon temps doit absolument être consacré à la construction et à la décoration pour espérer approcher un jour d’un état d’achèvement satisfaisant. En outre, les quelques amis proches qui s’intéressaient à cette possibilité ont disparu. Et comme je n’aime pas trop aborder les matières dans lesquelles je n’ai aucune expérience, je n’ai jamais évoqué ce sujet dans mes articles.
En mentionnant Kadee plus tôt, je voulais citer un exemple parmi d’autres des outils nécessaires à une exploitation réussie. Pour moi, le choix de Kadee est judicieux quelle que soit le mode de jeu. Et pour un réseau US, ce choix s’impose encore plus. Kadee m’a conquis dès ma visite de réseaux américains en 1972 et j’ai fait mes premiers montages vers 1985 avec l’aide d’un ami mécanicien, expert en la matière.
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À l’heure actuelle, dans notre monde globalisé et inter-connecté, comment vois-tu le futur du modélisme ferroviaire ?
Avec Internet et la multiplication des voyages intercontinentaux, tout a changé. Tout le monde s’ouvre maintenant à une vision sans frontière dans tous les domaines. Mais ce phénomène est très récent, je dirais début de ce siècle au plus tôt.
En principe, le modélisme ferroviaire devrait évoluer plus vite grâce à la diffusion rapide des informations qui se trouvaient si difficilement auparavant. Les forums sont sans égal pour obtenir l’assistance des spécialistes de chaque domaine. Un débutant peut devenir un expert en quelques années aujourd’hui. Les réseaux réussis dans tous leurs aspects vont se multiplier grâce à tout ce savoir mis en commun.
Je vois quand même poindre des nuages avec le fonctionnement même de l’Internet qui pose des problèmes écologiques croissants et qui pourrait perdre sa quasi-gratuité actuelle. Mais mon pessimisme entrevoit bien d’autres accidents qui dépassent le cadre de notre hobby de société privilégiée.
As-tu déjà entendu parler du travail de Lance Midnheim ? Il a écrit un livre auto-publié, Model Railroading As Art qu’il décrit ainsi : « Model railroading offers the exciting opportunity to be approached in the same way as any other branch of the art world [1] ». Cela m’a fait penser à l’idée du Xe art que tu as promue...
Je ne le connaissais pas. Ce qu’il fait semble superbe et dépasse largement le niveau général d’excellence. Si tu l’interviewes, signale-lui la section de mon site sur le Xe art, accessible en anglais comme toutes les autres pages. Ça pourra peut-être l’amuser !
Merci Jacques d’avoir bien voulu répondre à nos questions !